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7 questions à… Julie Conte, réalisatrice de « Bains douches »

Une plongée au coeur de l'intimité des derniers Bains douches de Paris.


Nous interrogeons toujours nos interviewés en 7 questions, car selon la loi de George A. Miller (psychologue américain), la mémoire à court terme a une capacité moyenne de retenir 7 éléments. Alors voilà 7 infos pour remplir votre mémoire à court terme pour la journée !


7 questions à… Julie Conte, réalisatrice de « Bains douches »

 

Pour son deuxième documentaire, Julie Conte livre un récit intimiste à l’intérieur des Bains douches d’Oberkampf dans le 11e arrondissement de Paris. Avec réalisme et profondeur dans les témoignages, nous découvrons l’histoire des usagers de ces anciens bâtiments aux façades carrelées du XXe siècle.

 


Une photo en noir et blanc montre la réalisatrice Julie Conte. Elle regarde sur la droite de l'image. Elle a les cheveux attachés, le regard est déterminé.

Cortex : Qu’est-ce qui vous a inspiré la réalisation de « Bains douches » (2019) ?

 

Julie Conte : Pour moi, « Bains douches » c'était une façon de parler de la précarité autrement. C’est un vrai sujet de société qui soulève des problèmes d’habitat, de soins, des problèmes pour se nourrir, de trouver à survivre. C'était aussi une façon très frontale d’aborder ces sujets de société dont on ne parle jamais. Pouvoir se sentir propre est indispensable quand on n'a pas accès à l'eau. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas du tout un lieu où il n’y a que des SDF qui y vont, il y a plein de gens en difficultés qui s’y rendent. Des familles nombreuses avec beaucoup d’enfants, des étudiants qui n’ont qu’un petit studio sans salle de bain, des personnes âgées avec une petite retraite qui ont du mal à payer leurs factures… Ça touche plusieurs classes sociales, et c’est un réel problème dont on ne parle pas dans les grandes villes comme Paris mais aussi ailleurs en France, et c’est pour cela que j’ai voulu faire ce documentaire. D’autant plus que les bains-douches sont voués à disparaître. Quand j’ai commencé à faire le film, il y en avait 20 sur Paris, et aujourd’hui il y en a qui se retrouvent sans ce service.

 

Avant les années 2000, les bains-douches étaient payants à Paris. Mais depuis, ils sont devenus gratuits grâce à la municipalité. Il y a peu de gens qui connaissent ces lieux, et en même temps ce sont des lieux vraiment importants, dans ce qu'ils proposent en termes de services, mais aussi de soins. Parce qu'au final, les gens qui viennent sont accueillis, ils passent un moment d'échange avec les agents municipaux et ils repartent en se sentant bien. C’est un lieu qui revêt une intimité particulière, mais c’est aussi un lieu créateur de lien social.


L'affiche du film représente les cabines de douches. Elles sont peintes avec un style réaliste. Les cabines sont peintes en rouge. Le sol est beige. Au fond on peu voir un mur jaune. En bas de l'affiche un tuyau d'arrosage est posé sur un bac de fleurs. En dessous est écrit le titre : Bains Douches, 41 rue Oberkampf, Paris 11éme. En dessous est inscrit le nom de la réalisatrice : Julie Conte.

Comment est-ce que vous avez découvert l’existence des bains-douches d’Oberkampf ?

 

Dès que je suis arrivée à Paris en 2000, j'ai vu en me baladant - car je suis très curieuse et que j’aime bien l’architecture - ces bâtiments avec des façades en mosaïque très colorées un peu partout dans chaque arrondissement. Ce sont des bâtisses qui datent du début du XXe siècle, avec une architecture très caractéristique de ce siècle. À cette époque-là, je ne réalisais pas encore de films, j'étais juste curieuse de ces bâtiments. Et il se trouve qu’à ce même moment, on était en travaux dans notre appartement, et on n'a plus eu d'eau pendant un mois. Alors nous avons dû nous rendre dans un de ces bains-douches en famille. Et c’est là que j'ai eu le flash : « il y a un vrai sujet à faire ».

 

Moi-même en tant qu’usagère, j’ai éprouvé le besoin de le raconter dans un film, de raconter ce qu’il se passe à l’intérieur. À partir de là, j'ai commencé à repérer tous les bains-douches de Paris et j’ai choisi celui de la rue Oberkampf parce que c’est le seul à avoir un lavomatic. Vu que les gens prenaient rendez-vous pour laver leur linge toutes les deux à trois semaines, ça me permettait de les retrouver assez régulièrement. Sinon les autres usagers, ils viennent puis ils partent, donc ça aurait été compliqué pour les filmer. J'ai choisi celui-là parce qu'il me permettait de faire un travail de fond avec certains des personnages qui sont dans le film. J'ai pu les filmer en prenant rendez-vous avec eux, d'abord en les enregistrant au son, puis à l'image, et le film s'est tourné comme ça.

 

Pourquoi avez-vous décidé d'adopter ce mode de tournage plus en retrait, en observation ?

 

D'abord, parce que je ne voulais pas brusquer les gens. Avec ce documentaire, on rentre vraiment dans leur intimité, c’est comme si on rentrait dans leur salle de bains. Même si c’est un lieu collectif, on filme les gens en train de faire leur toilette, et c'est très difficile.

 

J'ai pris le parti de les filmer une fois qu'ils sortaient de la douche, non pas quand ils arrivaient, mal réveillés, chiffonnés, sales… L’idée que je voulais c’était de réaliser un film sur la pudeur, sur l'estime de soi, le soin et l'image qu'on veut donner de soi. Et pour cette approche-là, je l’ai fait de manière asynchrone : d’abord au son uniquement, en interview en face-à-face où ils me parlaient quand ils étaient disponibles et quand ils se sentaient prêts. On allait dans une pièce à part pour plus d’intimité et un son correct. S’isoler permettait d’avoir une relation plus confidentielle, plus intime, où ils me racontaient leur histoire.

Ensuite, je les filmais en train de faire leur toilette. Ce n’était pas forcément le même jour, c’était quand ils étaient prêts, quand ils me le disaient. Je n’ai jamais voulu forcer ce moment, je voulais que ça arrive naturellement.

 

Cette photo en couleur représente un employé des bains douches qui lave le sol. Les cabines sont de chaque coté. A droite en bas de l'image, un panneau jaune indique que le sol est glissant.

C'était une volonté de ne jamais voir parler les gens que vous avez interviewés ?

 

Oui, je trouvais que c'était plus intéressant d'être dans cette distance-là, de placer le spectateur dans ce rapport, c’est une distance qui me semblait plus juste sur l'écoute.

C’est quelque chose que je voulais aussi faire ressentir par le biais de l’image. C’est pour ça que j’ai choisi des plans fixes des lieux, des usagers, de certains détails comme l’évacuation de l’eau des douches…

 

Le fait d’être seule sur le lieu pour filmer me permettait d’être plus proche des gens et d’adopter une démarche plus perceptible pour les personnes filmées. J’étais à une distance qui leur convenait aussi, dans l’intime, mais en retrait.

 

Est-ce que c'était difficile d'aborder ces personnes, de leur demander de raconter leur histoire ? Comment ça s'est passé ?

 

Oui, c'était très difficile. Déjà le documentaire pour moi, c'est une relation très intime à l'autre et au reste du monde. Et ça, ce n'est possible qu'avec le temps. Construire des relations, apprendre à connaître l’histoire des gens, créer de la confiance… j'ai passé beaucoup de temps sur place, pour les rencontrer sans filmer, juste discuter. Les personnes qui m’ont vraiment permis que les usagers soient en confiance, ce sont les agents municipaux. Eux, ils connaissent le lieu par cœur ainsi que les habitués d’ici. Ce sont ceux qui rassurent, ceux qui mettent en confiance et à qui les usagers viennent se confier.

Petit à petit, à force d’investissement et de temps, j’ai gagné leur confiance et leur reconnaissance, ce qui m’a réellement permis d’approcher les usagers grâce à eux.

 

Quel message vouliez-vous faire passer à travers ce documentaire ?

 

Pour moi, le documentaire, c'est profondément humaniste. C'est considérer l'autre comme son égal et l’approcher sans jugement. Quand je revois ces personnes faire leur toilette dans ce lieu public, il y a déjà ce rapport compliqué à l’intimité, mais aussi à l’identification.

Le documentaire permet de se mettre dans une empathie, dans une écoute profonde de l'autre. Et d’y voir aussi une certaine identification. Avec le documentaire, on dépasse les classes sociales, le rapport à la vie, à l'urbanité, aux frontières physiques. Dans un monde où l'on peut partager des idées, des ressentis très profonds avec des gens qui pourraient nous paraître très différents ou très loin de nous, on finit par réaliser que pas tant que ça en fait.

 

Je trouve qu'ils [les usagers des bains-douches NDLR] ont eu un courage incroyable de témoigner, ils ont été exemplaires. Je voulais que ça se ressente à travers le documentaire, leur donner leur valeur, leur place.

 

D’autres exemples de films ou de réalisateurs qui auraient travaillé sur ce même genre ?

 

Un de mes maîtres, c’est Alain Cavalier. Il a réalisé le documentaire « 24 portraits » (1987) qui représente des femmes artisanes qui font des métiers en perdition…

Je trouve que tout ce qu’il fait est absolument sidérant, magnifique et poétique à travers un point de vue si fort qu’est chacun de ces personnages. À la fois on parle du métier, de ces gestes qui seront perdus à jamais dans quelques années, et son documentaire permet d’en avoir la trace.

En même temps, on voit aussi la personnalité incroyable de ces femmes qui ont peu l'habitude de parler d'elles, mais qui ont une humanité extrêmement belle.


Merci d'avoir lu 7 questions à… Julie Conte, "Bains douches" est disponible sur www.cortex-media.tv !

 

Alizé Lorion - Journaliste - Cortex média

 

 

Encadré sur Julie Conte


Assistante caméra, cadreuse, réalisatrice diplômée de l’INSAS (Institut supérieur des arts)

Produit son premier documentaire en 2013 « Un chat sur l’épaule »

Deuxième documentaire en 2019 « Bains douches »

Troisième film prévu en 2024, un huis clos en milieu carcéral sur des jeunes mineurs délinquants

Directrice de la photographie sur son premier long-métrage de fiction « Playlist » de Nine Antico

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